Le compte à rebours est lancé, juste quelques mois, le Règlement Européen sur la déforestation importée (RDUE), adopté en juin 2023 entrera pleinement en application le 30 décembre 2025. Ce nouveau règlement va transformer profondément le commerce international des produits agricoles (cacao, café, caoutchouc,soja, bois, bétail, huile de palme). Il vise à garantir que les produits exportés vers l’Union Européenne (UE) ne sont pas associés à la déforestation ni à la dégradation des forêts après le 31 décembre 2020. Bien plus ces produits doivent être traçables et légaux selon la législation du pays de production
CONTEXTE
Le Règlement sur la déforestation de l’Union européenne (RDUE) est une nouvelle législation qui vise à garantir que les produits consommés et mis sur le marché au sein de l’UE ne contribuent pas à la déforestation ou à la dégradation des forêts dans le monde.
Le règlement s’applique à plusieurs matières premières et produits dérivés comme le cacao, le café, l’huile de palme, le soja, le bois, le caoutchouc et le bœuf. Les entreprises qui souhaitent commercialiser ces produits dans l’UE devront désormais prouver qu’ils n’ont pas été produits sur des terres déboisées ou dégradées après le 31 décembre 2020.
L’objectif principal est de réduire l’empreinte de l’UE sur la déforestation mondiale et d’encourager la production de produits respectueux de l’environnement, contribuant ainsi à la lutte contre le changement climatique et à la protection de la biodiversité.
Cette nouvelle exigence marque une rupture profonde dans les chaînes de valeur agricoles mondiales. Pour les organisations paysannes et les petites et moyennes entreprises (PME), elle inaugure une nouvelle ère : l’ère de la donnée, un univers où la technologie devient indispensable pour produire, vérifier et partager les informations de conformité.
En effet, la conformité au RDUE repose sur la capacité des acteurs à collecter, traiter, stocker et partager des données fiables et vérifiables. Or, si les grandes entreprises disposent déjà de systèmes sophistiqués de traçabilité, les petits producteurs et leurs organisations se trouvent confrontés à un défi technologique majeur.
Les solutions technologiques au cœur de la conformité
Au Cameroun, plusieurs solutions numériques émergent pour accompagner les acteurs du cacao, du café et d’autres filières. Au rang de cette pléiade de solutions on peut citer:
- Applications mobiles de géo-localisation et de traçabilité : elles permettent d’enregistrer les données de parcelles (coordonnées GPS, superficie,), de générer des identifiants uniques pour chaque producteur. Certaines de ces applications permettent non seulement de collecter les données pertinentes mais de les transférer tout au long de la chaine d’approvisionnemlent jusqu’au point d’exportation. Exemple: InaTrace, Ground, Whimo (en cours de développement)
- Plateformes de mutualisation et de gestion des données : Elles sont basées sur le cloud, centralisent les informations et facilitent leur partage avec les acheteurs et exportatteurs qui en font la demande. Exemple: Geoshare
- Images satellites et systèmes d’information géographique (SIG) : Elles servent à vérifier la couverture forestière et à prouver que les zones de production ne se trouvent pas sur des terres déforestées après le 31 décembre 2020 (date de référence du RDUE). Elles permettent aussi d’analyser l’évolution de la couverture forestière, de croiser les données avec les cartes officielles des aires protégées. Exemple: Whisp
QUELS BÉNÉFICES DE CES SOLUTIONS TECHNOLOGIQUES POUR LES ORGANISATIONS PAYSANNES ET LES PME?
L’intégration des outils numériques ne se limite pas à une simple obligation réglementaire. Elle ouvre aussi des opportunités :
- Renforcement de la crédibilité commerciale et valorisation du travail du producteur: les producteurs qui peuvent démontrer la traçabilité, légalité et la durabilité de leur production accèdent plus facilement aux marchés internationaux et par conséquent leurs efforts sont récompensés par un revenu décent
- Amélioration de la gestion interne : grâce aux données collectées, les coopératives se professionnalisent en gérant mieux leurs données, identifiant les besoins de formation et planifiantt leurs activités.
- Réduction des risques environnementaux : l’utilisation de cartes et de données géospatiales sensibilise les producteurs aux zones à haute valeur écologique à protéger.
Les défis pour les organisations paysannes et les PME
Malgré les avantages, l’adoption de ces solutions se heurte à plusieurs obstacles :
- Coût élevé des technologies : logiciels, licences, smartphones, GPS et connexion internet restent onéreux pour de petites structures (organisations paysannes et PME)
- Manque de compétences numériques : beaucoup de producteurs et responsables de coopératives ne maîtrisent pas l’usage des outils digitaux.
- Accès limité à l’internet et à l’électricité : en zones rurales, la connectivité demeure une contrainte majeure.
- Fragmentation des solutions : la prolifération d’applications et de plateformes, souvent non interopérables, entraîne une duplication des efforts et une surcharge administrative.
- Risques de marginalisation : les petits producteurs qui n’arrivent pas à se conformer risquent d’être exclus des marchés internationaux, renforçant les inégalités.
Quelles pistes pour relever ces défis ?
Pour éviter que le RDUE ne se transforme en barrière insurmontable, plusieurs leviers d’action doivent être mis en œuvre :
- Développement de solutions adaptées et abordables : privilégier des applications open source, offline, peu consommatrices de données et compatibles avec des téléphones de base.
- Mutualisation des efforts : les organisations paysannes (Gics, coopératives, unions et fédérations paysannes doivent centraliser les services numériques pour réduire les coûts unitaires.
- Renforcement des capacités locales : former les producteurs et les PME à la collecte et à la gestion des données, en utilisant des méthodes pratiques et adaptées aux réalités locales.
- Appui institutionnel: les pouvoirs publics, et les structures en charge de l’encadrement et du développement des filières concernées doivent accompagner les organisations paysannes et PME dans l’arrimage à cette nouvelle donne
- Interopérabilité et standardisation : promouvoir des plateformes harmonisées pour faciliter l’intégration et l’échange d’informations entre acteurs.
CONCLUSION
Le RDUE impose une transformation radicale des modes de production et de commercialisation agricoles. Pour les petits producteurs et les PME, il ne s’agit pas seulement de se conformer à une exigence internationale, mais de s’engager dans une transition numérique incontournable, parce que dès sa mise en application , sans données il n’y aura point de commercialisation du cacao pour ne prendre que cette commodité.
Loin de l’idée de représenter une menace, l’ère de la donnée est une opportunité : si elle est bien accompagnée, elle permettra non seulement de répondre aux critères du RDUE, mais aussi de professionaliser et moderniser les organisations paysannes, d’améliorer la compétitivité, la transparence et la durabilité des filières agricoles concernées au Cameroun.